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COMMENTAIRE D'UN ARRET DE LA COUR D'APPEL Maître Maurice
OLIVIERO |
La Cour d'Appel d'AIX EN PROVENCE a été saisie d'un cas d'espèce mettant en cause la responsabilité de deux moniteurs, sur deux chefs de griefs différents, et la responsabilité de leur club.
La décision de la Cour (Arrêt du 16 Septembre 1998) ne manquera pas d'intéresser nos adhérents.
l- Le choix de l'action
Il s'agit d'un accident de décompression. La victime n'a pas choisi la voie pénale, comme elle aurait pu le faire, par application des articles 222-19 et 223-1 du Code Pénal, mais a assigné les présumés responsables devant la juridiction civile, pour avoir des dommages et intérêts.
Elle a donc poursuivi : deux moniteurs et le club, dont ils étaient les préposés bénévoles.
L'accident a eu lieu au cours d'un stage payant de préparation au " 1er échelon " (nous sommes en 1989).
2- Le cas d'espèce
En 1989, Monsieur L., âgé de 25 ans, s'exerçait pour l'obtention du Brevet " 1er échelon ". Il était Breveté élémentaire depuis deux ans. Il fit une plongée le matin sous la direction du moniteur C et une plongée l'après-midi sous la direction du moniteur T.
Les plongées avaient lieu au delà de 20 mètres.
Le moniteur du matin utilisait la table GERS 65.
Le moniteur de l'après-midi utilisait un ordinateur Aladin, intégrant les tables Bullmann.
Les moniteurs s'étaient concertés, dirent-ils, pour calculer les critères de la deuxième plongée, malgré la dualité des tables utilisées.
Au sortir de la plongée de l'après-midi, Monsieur L. se sent mal, mais les moniteurs, bien qu'en possession d'une bouteille d'oxygène pur, n'en font pas usage à raison de deux faits :
• d'une part, parce qu'ils s'en remettent au diagnostic de " crise de tétanie " fait par un autre stagiaire, médecin généraliste (mais non médecin hyperbariste) ;
• d'autre part parce que Monsieur L refuse, paraît-il, l'oxygène et donne lui-même toutes directions au secours (Les Pompiers) qui vont alors l'orienter vers un hôpital général, au lieu d'un hôpital spécialisé.
Un accident de décompression s'étant déclaré, Monsieur L., après une paraplégie quasi complète a évolué vers une récupération progressive, permettant la station debout et la marche avec appui dans un périmètre limité.
Monsieur L. était régulièrement licencié et muni d'un certificat médical de non contre indication.
LA DECISION (Résumé)
La Cour statuait sur appel de Monsieur L. car, en première instance, le Tribunal ne lui avait pas donné satisfaction.
Elle devait retenir à l'encontre des deux moniteurs les griefs suivants :
1- A l'occasion de deux plongées successives, il est formellement interdit de changer de tables ;
2- Concernant l'attitude des moniteurs chargés de la sécurité : " en cas de doute, il y a toujours lieu de faire prévaloir un accident de décompression sur tout autre type d'accident, et d'organiser soins et secours en conséquence.
Ce qui n'a pas été fait.
3- Les moniteurs, formés au sauvetage avaient seuls la responsabilité d'organiser soins et secours sans possibilité de déléguer à quiconque ni de s'en remettre au diagnostic d'un autre stagiaire, médecin généraliste qui, non formé à ce type de symptôme a diagnostiqué de façon erronée une crise de tétanie ".
EXTRAIT LITTERAL DE LA DECISION
Cet extrait développe ce qui est dit ci-dessus tout en apportant d'autres précisions, notamment sur l'interprétation de l'Arrêté du 26 Mai 1983.
" Les relations établies entre Monsieur L. et le club étaient contractuelles, pour un stage d'une semaine pour la préparation à l'échelon n°1. Le Club était dès lors tenu d'une obligation de moyens (et non de résultat) dont il y a lieu de définir précisément les contours.
Les obligations du club sont notamment définies par l'arrêté du 26 Mai 1983 de la Direction des sports concernant la garantie de technique et de sécurité dans les groupements sportifs constitués conformément à la loi du 1er Juillet 1901 dispensant l'enseignement de la plongée subaquatique étaient les suivantes, à l'époque de l'accident :
article 4 :
Un groupe de plongeurs en immersion effectuant ensemble une plongée de mêmes caractéristiques de durée, de profondeur et de trajet, constitue " une palanquée ",
article 5 :
Le chef de palanquée a la responsabilité du déroulement de la plongée.
Il s'assure que les caractéristiques de cette plongée soient adaptées aux circonstances et au niveau technique des participants et que ces derniers respectent les données essentielles, profondeur et durée.
article 7 :
Les évolutions d'une palanquée comprenant des plongeurs de niveau 1... sont normalement limités à la zone de profondeur de 20 mètres,
article 14 :
Les pratiquants doivent avoir à leur disposition sur les lieux de plongée, une trousse pharmaceutique de premier secours, de l'aspirine et de l'eau potable non gazeuse, un insufflateur de bouche à bouche, un inhalateur d'oxygène avec une réserve de gaz et au delà de 6 mètres, un scaphandre de secours, un jeu de tables de plongée et de quoi écrire.
article 15 :
Le responsable d'une palanquée doit obligatoirement être équipé des moyens de contrôle de la profondeur et de la durée de la plongée, il doit être en mesure de déterminer la durée des paliers éventuels....
Il résulte du rapport des règlements régissant les obligations d'un club dispensant un enseignement et au regard des éléments de fait, définitivement retenus comme acquis par l'arrêt avant dire droit,
- que l'évolution de plongeurs de niveau 1 au delà de la zone de 20 mètres n'est pas formellement interdite, le terme " normalement " désignant une recommandation de sécurité et non une interdiction impérative (ce n'est que par un arrêté du 20/09/91, donc postérieur à l'accident que le Ministère de la Jeunesse et des Sports en fera une interdiction impérative) et qu'aucune faute ne peut donc être reprochée quant à la profondeur des plongées effectuées.
- que le non respect du nombre de plongée recommandé avant l'examen de passage du premier échelon, à supposer ce non respect établi, n'est pas en relation de cause à effet avec l'accident, le fait qu'il soit survenu au cours d'une plongée libre ou d'une plongée d'examen étant indifférent.
- que le directeur de la palanquée de la plongée de l'après-midi était Monsieur T., et à ce titre ayant (article 5) la responsabilité de la plongée, devait s'assurer des caractéristiques de cette plongée, veiller à ce que les participants respectent les données essentielles de profondeur et de durée, et devait être en mesure de déterminer la durée des paliers éventuels (article 15),
Tous les arguments développés par les parties sur l'échange ou l'absence d'échanges entre moniteurs des données de la plongée du matin effectuée par Monsieur L. sont inopérants, Monsieur T. ayant l'obligation de s'assurer lui-même de tous les paramètres et de déterminer les caractéristiques de sécurité de la plongée, et ce, pour tous les plongeurs, avec l'obligation, puisqu'il dirigeait une palanquée, de régler les données de la plongée sur le coefficient de sécurité le plus élevé dès lors que les plongeurs n'avaient pas les mêmes caractéristiques pour avoir effectué des plongées différentes le matin.
De même il n'appartient pas à Monsieur L. de démontrer qu'il a attiré l'attention de Monsieur T., sur l'inadéquation de ses paramètres, le directeur de palanquée ne pouvant pas s'en remettre à ses élèves mais ayant l'obligation d'assurer leur sécurité.
Il résulte des données définitivement acquises aux débats quant aux caractéristiques des deux plongées effectuées par Monsieur L., qu'en respectant les données de la table GERS 65 utilisée le matin, et dont les données devaient être reprises l'après-midi, il était impératif d'effectuer un palier de décompression de 22 minutes à moins 3 mètres.
L'hypothèse GERS 65 sur la plongée de Monsieur C du matin, n'a aucune incidence sur les données que devait respecter Monsieur T. l'après-midi.
Il y a lieu de préciser que l'expert a utilisé la table GERS 65, car c'est celle que Monsieur C. avait utilisé le matin, et qu'il est formellement interdit de changer de tables. Mais les intimés qui ont un temps contesté la fiabilité de la table GERS 65, pouvaient démontrer, à partir d'autres tables s'ils les jugeaient plus fiables, que les données des deux plongées étaient conformes à ces autres tables. Ils se sont bien gardés de faire cette démonstration et n'apportent pas d'éléments techniques à l'appui de leur contestation, leur argument de défaut d'examen de l'ordinateur de plongée ALADIN étant dépourvu de toute valeur, l'ordinateur intégrant simplement une autre table de référence.
Ils n'apportent ainsi aucun élément permettant de combattre cette donnée majeure de l'expertise, selon laquelle l'accident de décompression est survenu en raison de l'irrespect d'un palier de décompression.
Il a été retenu définitivement par l'arrêt avant dire droit que le bateau du club était équipé des éléments réglementaires rappelés ci-dessus et aucune faute ne peut être reprochée au club à cet égard.
Mais il est établi par les données de l'expertise qu'un accident de décompression doit être traité :
- immédiatement par l'absorption d'aspirine et d'eau non gazeuse et la mise sous inhalateur d'oxygène pur.
- dans les plus brefs délais par l'appel des secours spécialisés afin qu'en moins de deux heures le blessé soit traité en caisson hyperbare, technique permettant de faire régresser au mieux les symptômes et les séquelles initiaux.
Il est également établi par l'expertise et par l'enseignement dispensé aux plongeurs et moniteurs que les symptômes les plus fréquents et apparents d'un accident de décompression sont une fatigue générale, des fourmillements dans les membres, souvent les jambes, des paralysies, et la description des symptômes ressentis et visibles, dont Monsieur L. était atteint à la revenue à la surface sont en tous points conformes à cette description.
" Ne sachant pas quoi faire " comme ils ont été amenés à le reconnaître, les moniteur Monsieur C. et Monsieur T., qui avaient seuls la responsabilité d'organiser soins et secours, sans possibilité de la déléguer à quiconque, s'en sont remis au diagnostic d'un stagiaire, médecin généraliste, qui, non formé à ce type de symptômes, a diagnostiqué de façon erronée une crise de tétanie - diagnostic à partir duquel l'organisation des secours a totalement dévoyée, entraînant l'absence d'administration d'aspirine et d'eau, et d'inhalation d'oxygène, la pose d'un sac plastique sur le visage, diminuant au contraire l'oxygène, et un retard considérable et définitivement préjudiciable dans l'administration du traitement hyperbare, retard à l'origine de l'aggravation des conséquences de l'accident, par défaut de régression des séquelles.
Les deux moniteurs ont à, cette occasion, commis des fautes dans les soins à prodiguer et dans les mesures urgentes à prendre et il ne peut être reproché à Monsieur L. de n'avoir pas pris en mains son diagnostic, un blessé ayant toujours tendance à minimiser la gravité de l'atteinte pour conjurer la crainte de l'irréparable.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le club, tenu d'une obligation de moyens, a été défaillant dans ses obligations d'organisation d'une plongée en ne respectant pas les préconisations de durée de palier de décompression, faute également commise par Monsieur T., et d'organisation des soins et des secours adaptés à l'accident de décompression dont Monsieur L. a été victime en raison de l'irrespect du palier de décompression, fautes également commises par les deux moniteurs Monsieur T. et Monsieur C., qui seront donc tenu solidairement, avec le club à indemniser la totalité du préjudice subi par Monsieur L.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Déclare fondé l'appel interjeté par les consorts L, à l'encontre du jugement prononcé le par le Tribunal de Grande Instance de
En conséquence,
Mettant à néant la décision déférée dans toutes ses dispositions et statuant à nouveau.
Dit que les fautes commises par Messieurs T. et C. et le club de plongée sont à l'origine directe du dommage subi par Monsieur L. auquel ils doivent réparation intégrale, ainsi qu'aux victimes par ricochet.
Condamne solidairement, Messieurs T. et C. et le club de plongée à payer : etc... "
COMMENTAIRE
Il est clair, pour la Cour - qui s'appuie sur rapport d'expertise - que l'on ne peut ni ne doit utiliser des tables différentes pour régler deux plongées successives.
La Cour a donc retenu l'entière responsabilité du moniteur T. de ce chef (article 1328) et de son club.
Pour le deuxième chef de griefs, la Cour a tranché au moyen d'une argumentation hardie et qui ne manquera pas d'intéresser les moniteurs dans leurs fonctions et prérogatives de secouristes, ou d'aides médicales.
La Cour déclare que les moniteurs avaient seuls la responsabilité d'organiser soins et secours sans possibilité de la déléguer à quiconque,
Ils avaient donc eu tort de déléguer cette responsabilité à un tiers, médecin généraliste, qui n'était nullement formé à la pratique de la médecine hyperbare.
Mais qu'en aurait-il été, si ce médecin avait eu la qualification et la formation nécessaire en médecine hyperbare ?
Le mot "quiconque" est en l'occurrence ambigu, mais la Cour semble bien considérer que les prérogatives du moniteur qui sont le corollaire de sa responsabilité sont sans concurrence avec qui que ce soit.
Et, sans faire d'extrapolation, il semble bien que cette position, assez radicale et somme toute nouvelle, se justifie par le fait que le moniteur est contraint d'agir dans un cadre bien précis, malgré toute opinion extérieure et qui va dans le sens de la sécurité, à savoir :
" En cas de doute il y a toujours lieu de faire prévaloir un accident de décompression sur tout autre type d'accident ".
Ainsi donc, dans l'opinion de la Cour, tant que l'accidenté est sous la responsabilité du moniteur, il reste sa seule responsabilité et le moniteur se doit alors (dans le doute) d'appliquer la procédure de l'accident de décompression sans se laisser influencer par interventions extérieures de " quiconque " ; en d'autres termes, il n'y a pas à choisir entre le moniteur en charge d'une mission et un tien intervenant qui n'est mandaté par personne, car cela déboucherait (comme ce fut le cas) sur des palabres inutiles, et donc nuisibles à l'accidenté, puisque, en tout état de cause, le moniteur sait ce qu'il a à faire automatiquement en cas de doute.
La responsabilité officielle du moniteur ne cesse, semble-t-il, que lorsqu'il remet régulièrement cette responsabilité à un second responsable officiel, à savoir : l'organisme de secours qualifié et accrédité qu'il a appelé. En attendant, il agit seul - hors de toute influence -.
Nous laisserons à la Commission Médicale le soin et la charge de la réflexion sur cette forte décision.